Éducatrice spécialisée: les risques du métier

En revenant du travail aujourd’hui, j’étais assise en silence dans ma voiture après une journée bercée par les cris, les pleurs et les nombreux coups de poing reçus par des enfants. Je reprenais mon souffle et je pensais au fait qu’il n’y avait pas tant de métiers pour qui la violence physique et verbale est autant tolérée. J’ai parlé récemment avec bon nombre d’ami.es TES et tout le monde est pas mal d’avis que les coups, les bousculades, les égratignures et les injures font partie intégrante de notre quotidien au point qu’on banalise le tout voire justifie cette violence vécue durant notre quart de travail. J’ai repensé à ce billet de blogue que j’avais écrit il y a de ça quelques années suite à une agression qui m’avait mise KO et en me relisant, j’avais le goût de dire à la Steph de l’époque:  » T’as encore rien vu ma chum! ».


Au cours des dernières semaines, une dizaine d’employé.es du système de santé du Québec ont été agressé.es au travail. Ce midi, un des sujets de l’émission de radio d’Isabelle Maréchal au 98,5 fm traitait des nombreux cas de salariés en arrêt de travail pour agression physique et psychologique sur leurs lieux de travail. En écoutant les différents témoignages, j’ai eu le motton dans la gorge. Je suis technicienne en éducation spécialisée en milieu scolaire et je me fais agresser quasi-quotidiennement.

« Les commentaires du CISSS des Laurentides sont attendus alors que c’est la deuxième fois en trois semaines que des membres du personnel se font agresser et blesser sur leurs lieux de travail. »

https://www.cime.fm/nouvelles/sante/283479/deux-infirmieres-blessees-et-agressees-par-un-patient-a-lachute

Quand l’éducation devient risquée

Vous me direz que j’ai étudié pour travailler avec une clientèle à risque, que j’ai fait le choix de consacrer ma carrière à ces jeunes en grandes difficultés et je vous le donne. J’aime mes élèves comme s’ils étaient mes propres enfants et c’est ce qui est le plus dangereux dans mon métier. Comme la plupart des intervenant.es des différents réseaux, nous sommes des gens de coeur, empathiques et dévoués et avons parfois, voire souvent, de la difficulté à mettre nos limites parce qu’on veut toujours le bien des autres – même à nos dépends. Cependant, qu’en est-il de notre intégrité physique? Il en revient à qui de nous protéger?

L’an dernier, j’ai subit une agression physique par un élève, j’ai eu plusieurs mois de physiothérapie et d’ergothérapie et j’en garde encore des séquelles physiques. J’ai été arrêtée 2 semaines pour ensuite revenir en travaux légers le tout payée par la CNESST. J’étais tellement écoeurée de me faire traiter en coupable que j’ai tout fait pour accélérer le processus de retour au travail malgré la douleur persistante. Tannée de tout, brûlée par toute la bureaucratie mais aucun soutien en échange.

Brûler la chandelle par les deux bouts

Nous travaillons dans des conditions pas toujours évidentes malgré nos congés payés du temps des fêtes et nos deux mois sur le chômage durant l’été. Le manque de personnel, le manque de personnel formé, les arrêts de travail de nos collègues, les classes pleines au bouchon, les cas de plus en plus lourds et de moins en moins de relève. J’ai souvent rêvé d’exercer mon métier jusqu’à la retraite (en 2047 plus précisément) mais j’en doute fortement. Je ne serai probablement physiquement et psychologiquement plus capable. Les coups, les claques, les égratignures, les morsures, les crachats et les cris sont épuisants même si nous avons fait ce choix de carrière.

« Selon nos informations, le patient est un homme qui souffre de problèmes de santé mentale »

https://www.cime.fm/nouvelles/sante/283479/deux-infirmieres-blessees-et-agressees-par-un-patient-a-lachute

Je sympathise avec tous ces employés qui subissent de la violence au quotidien. C’est rough et c’est trop souvent banalisé. On remet en cause les interventions, on justifie par les troubles de santé mentale, on tente de justifier toute cette violence jusqu’à en oublier les victimes de ces gestes sournois qui nous affectent pas mal plus qu’on pense. Quand les gouvernements coupent dans les budgets en éducation, en santé, et dans les services en psychiatrie, quand ça prend plus d’un an pour recevoir des services, quand les parents sont épuisés, quand les lois sont décidées sans nous consulter, ça créé des professionnels à bout de souffle, aigris par le système et surtout rarement écoutés.

12 commentaires sur “Éducatrice spécialisée: les risques du métier

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  1. Bonjour

    Lorsqu un usager en deficience intellectuelles avec troubles de comportements frappe une personne en autoritee cette dernière peux t elle poursuive la famille d accueuil de l usagere????

    1. Je travaille en déficience moyenne, profonde et grave et non, on ne peut as revenir contre le client ni contre la famille en cas d’agression. Ça s’explique par le fait que le client n’a pas la capacité de comprendre la porter de ces gestes. Ils ne nous agressent pas pour nous faire mal, ils le font parce qu’ils ne savent pas comment agir autrement pour nous dire ce qu’ils veulent nous dire. Parfois, ils agressent sans raison non plus, ils ne vont juste tout simplement pas bien et ils n’en ont même pas conscience. On ne peut pas poursuivre quelqu’un qui n’a pas conscience de ces actions. Ce n’est pas comme un adulte neurotypique (sans déficience intellectuelle) qui agresse quelqu’un. Aussi, les familles ne peut pas être tenus responsables des actions de leurs enfants majeurs et qui vivent avec une déficience intellectuel.

      1. Bonjour, je ne suis pas certaine de comprendre votre commentaire. Je suis d’accord avec votre intervention et ne crois pas avoir dit le contraire

  2. Je crois que l’idéal serait d’avoir des agents formé pour intervenir dans les ecoles spécialisés ça sécuriserait les éducatrices et les élèves aussi j’en suis sure

  3. Beau témoignage et dur réalité ! une chance que vous êtes la les TÉS un métier pas facile aujourd’hui .

  4. Ouf! Quelle description juste de notre réalité quotidienne. Je compte 30 ans en intervention dont 13 dans le milieu scolaire. Selon moi, nos enfants sont de plus en plus souffrants, anxieux, préoccupés et non disponibles aux apprentissages. Sans mettre la cause sur les parents , puisque je crois vraiment que c’est un problème sociétaire, ces derniers exigent de moins en moins de leur enfant puisqu’ils ne savent plus prendre leur place de parents. Notre réalité, c’est que les enfants rois ont mis au monde des grands rois. Ces précieux ne doivent vivent aucune frustration, aucune contrariété, aucune difficulté, etc. Étant donné qu’on ne veut pas les voir souffrir, on les protège d’un danger souvent inexistant. On demande au milieu de s’adapter à lui et non l’inverse. Sans compter qu´on leur rappelle constamment qu’ils ont des droits mais on oublie de leur rappeler qu’ils ont aussi des devoirs. Nous avons peur de les reprendre sans doutes parce qu’on vit de la culpabilité , qu’il n’a pas lieu d’être. On vit dans un monde de performance dont l’être humain est au second plan. Au lieu de responsabiliser nos enfants de leur action, on préfère les expliquer, afin de minimiser leur responsabilité. Ce qui fait que nos enfants ne se remettent jamais en question.
    En terminant, je confirme que le milieu scolaire est en crise et qu’il faut y travailler pour voir à quel point. Si nous n’agissons pas rapidement, je m’inquiète sincèrement pour la génération de demain.

  5. C’est le métier que j’ai choisi…
    Moi je travaille avec les jeunes du primaires depuis plus de 20 ans et sur ça 17 ans avec les jeunes ayant des difficultés graves des comportements.
    Auparavant, on avait des vrais
    TC = (code 12) TGC » = (code 14).

    Maintenant la clientèle devient de plus en plus complexe. on ajoute à cela le TDAH avec tout les troubles associés, psychopathologies , trouble de l’attachement, anxiété de toute sorte et j’en passe…
    Il augmente le nombre d’élèves par classe. Ne se préoccupe pas de la diversité des nombreuses
    problématiques dans la même classe. Donc plus de crise, car un devient l’élément déclencheur de la crise de l’autre et ça se contamine….
    Moi je suis en arrêt de travail depuis près de 3 ans pour 2 accidents de travail. Le même jeune m’a blessé les deux genoux.
    J’ai du être opéré et je serai opéré à nouveau dans 3 semaines pour une reconstruction du genou…

    Maintenant je ne pourrai plus travailler avec cette clientèle en lien avec les limitations fonctionnelles que ça amène.
    Ce qui est le plus triste, c’est que j’ai aussi perdu la capacité de jouer avec mes enfants et de poursuivre les activités que je pratiquais avant.

    Et malheureusement on ne peut rien changer, aucun support, aucune compensation autre que la CNESST. On ne peut même pas actionner les parents et aucun excuse de leurs parts….

    Je suis choqué, peiné et découragé…

  6. Je suis TES en milieu scolaire depuis 18 ans, 11 ans au primaire et j’en suis à ma 7e année au secondaire. J’ai vécu aussi des épisodes de violence physique il y a de cela quelques années. Après un arrêt de travail de 3 mois, j’ai réalisé que le problème était que je tentais de répondre non pas aux besoins des enfants mais plutôt aux besoins du cadre scolaire ( demandes des enseignants, directions, évaluations etc…) lorsque j’ai mis tout cela de côté et que je me suis centrée sur les
    besoins des élèves et que j’ai investi mon temps à créer un lien d’attachement avec eux, je n’ai plus vécu de violence physique. Maintenant, je les accompagne dans ce qu’ils vivent, je développe une relation de confiance entre eux et moi et je peux maintenant affirmer qu’à chaque jour je fais une différence dans leurs vies. C’est pourquoi j’ai choisi ce si beau métier qu’est l’éducation spécialisée!

  7. Bonjour! Le 17 septembre dernier, j’ai reçu un coup de pied au visage par un élève de maternelle… résultat, commotion cérébrale et entorse cervicale… résultat: depuis, je suis en arrêt de travail car il n’y a pas une journée où je n’ai pas eu de maux de tête… j’ai l’impression d’avoir perdu le contrôle sur ma vie…

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